Cette semaine du 17 au 21 février 2025, la question des capacités militaires des pays européens a été propulsée au premier plan par les tensions géopolitiques et les déclarations américaines laissant entrevoir la perspective de leur désengagement des questions de sécurité européenne. Toutefois, si ce constat souligne l’impératif de reconstruction de capacités militaires pour le « vieux continent », le gigantesque investissement nécessaire se heurte aux règles budgétaires de l’Union européenne, limitant les déficits à 3 % du PIB, et surtout à une situation budgétaire désastreuse dans de nombreux pays. Les annonces de la France et du Danemark reflètent pourtant une volonté de réarmement rapide en dépit de situations budgétaires au départ du coup très différentes pour ces deux pays. Le Danemark à une dette cumulée de 127 milliards d’euros représentant 29,3 % de son PIB pour 3200 milliards pour la France et 112% de sa richesse produite annuellement.
Le 20 février, Emmanuel Macron a marqué les esprits en évoquant, lors d’un échange en direct, une possible hausse des dépenses de défense françaises à 5 % du PIB, contre 2,1 % actuellement. Face à une Russie qualifiée de « menace existentielle » et aux pressions de Trump, il a plaidé pour une « nouvelle ère » nécessitant des « choix très forts ». Il a aussi appelé à une coopération européenne renforcée via une « base industrielle et technologique commune », tout en valorisant l’OTAN.
Avec une dette à 112 % du PIB et un déficit de 6,1 % en 2024, cette ambition heurte les contraintes de l’Union européenne. Emmanuel Macron a suggéré dans une interview au Financial Times le 14 février que la règle des 3 % était «caduque », proposant des emprunts communs européens. Cette idée, bien que séduisante pour mutualiser les coûts, divise, notamment face à l’opposition allemande.
Le 19 février, Mette Frederiksen, Premier ministre du Danemark a annoncé une augmentation de 50 milliards de couronnes (6,7 milliards d’euros) pour 2025-2026, portant les dépenses danoises à 3,2 % du PIB dès 2025. « Achetez, achetez, achetez », a-t-elle lancé, priorisant la vitesse pour renforcer la défense antiaérienne face à la Russie. « Si nous ne pouvons pas obtenir le meilleur équipement, achetez le deuxième meilleur. Une seule chose compte maintenant : la vitesse. » Cela reflète une volonté de renforcer immédiatement les capacités de défense du pays face à la menace russe perçue et à la perspective d’un désengagement américain. Ce choix creuse un déficit de 0,8 % en 2026, mais reste sous les 3 %, loin de la réalité budgétaire française.
Financer ce réarmement tout en respectant les 3 % de déficit est un casse-tête pour de nombreux pays. La menace russe, avec un risque pour les Baltes d’ici deux ans selon les services danois, pousse Ursula von der Leyen à proposer une « clause de sauvegarde » pour les investissements militaires, comme en 2020 lors de la crise du COVID. Les 320 milliards d’euros dépensés par l’UE en 2024 (2 % du PIB) représentent une augmentation de plus de 20% par rapport aux 270 milliards de 2023. Même si la Russie prévoie de consacrer l’équivalent de 145 milliards de dollars pour 2025, et se situe loin derrière l’Union européenne, la dispersion de la dépense européenne et les coûts de production rendent cette dernière moins efficace en termes de potentiel militaire. Devant les questions budgétaires, c’est avant tout l’organisation politique européenne qui limite sa puissance en dépit de sommes cumulées importantes. Toutefois, il est jugé nécessaire de poursuivre massivement l’effort de réarmement en dépit des progrès déjà réalisés.
Pour des pays comme la France ou l’Italie (dette à 140 %), atteindre 3 % ou 5 % aggraverait les déficits. Les obligations communes divisent, les « frugaux » y voyant un risque, tandis que la Pologne (4,7 %) et la Lituanie (visant 5-6 %) avancent, et que l’Allemagne (2 %) hésite. Mark Rutte, le secrétaire général de l’OTAN a appelé à dépasser « significativement 3 % », un défi que les pays proches de la Russie relèvent plus volontiers que l’Italie ou l’Espagne.
En définitive, même si ce dilemme entre situation budgétaire et nécessité de s’armer est loin d’être tranché, il en ressort que les budgets de la défense des pays européens s’inscrivent dans une logique de croissance sur le long terme. C’est une certitude. Cette augmentation est d’autant plus importante que les pays sont situés à proximité de la frontière russe. Les questions budgétaires pourraient être momentanément contournées, si la situation sécuritaire se dégradait rapidement, par une politique européenne de rachat massif des dettes publiques. Mais cette politique ne peut s’inscrire sur le long terme. Elle conduirait en effet à une dépréciation de l’Euro encore plus rapide qu’actuellement et à des tensions inflationnistes rapidement insoutenables.
Plus la perception de la menace sera perçue de manière intense, plus les dépenses publiques se réorienteront vers le secteur de la défense et de la sécurité. Les gouvernements n’auront pas d’autres choix que de prendre des décisions difficiles. Certes, nous n’en sommes pas encore à ce stade, mais nous nous en approchons. Les acteurs économiques, et les PME en premier lieu, ont intérêt à évaluer leur potentiel à répondre aux marchés spécifiques qui seront nécessaires pour reconstruire nos armées.
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